On en parle… même sur les ondes les plus “sérieuses” !

Depuis plus de 50 ans, l’émission Le masque et la plume sur France Inter « réunit, pour des joutes devenues célèbres, les meilleurs journalistes spécialisés qui maintiennent haut et fort le prestige d’un genre périlleux et indispensable : la critique ! ». Au delà des critiques et de l’éventuel intérêt qu’on peut y trouver, on écoute aussi – ou surtout – Le masque et la plume pour son ambiance « marché à la criée »…

Il y a tout juste un mois, le 22 juin 2008, quelques minutes ont été consacrées au Roi Lion. Bien entendu, il n’était pas vraiment inscrit à l’ordre du jour… Une création contemporaine aux 45 millions de spectateurs dans le monde, ce n’est sans doute pas assez « sérieux » !

Charlotte Lipinska, Jacques Nerson, Bernard Thomas et Gilles Costaz ont échangé sur leurs expériences au théâtre Mogador. Et contre toute attente, les remarques sont plutôt assez positives… Voici quelques éloges :

« C’était tout à fait réjouissant. Je me suis émerveillé (…) mais il faut dire que c’est vraiment extraordinaire. Quand les girafes arrivent sur scène, avec les zèbres, les éléphants et tout ça, on est vraiment émerveillé. On en demande encore. Les chansons sont très bien et les lumières, c’est surtout les couleurs des lumières qui sont prodigieuses… on marche complètement. » Bernard Thomas.

« C’est très spectaculaire. Tout de suite 40 artistes en scène, 20 musiciens live, cette débauche de lumières et de costumes, c’est assez impressionnant. Je suis assez admirative de l’inventivité des costumes faits par Michael Curry [LRDM : et de Julie Taymor] : il y a du masque, de la marionnette, des espèces d’harnachements…. » Charlotte Lipinska.

« je suis émerveillé par ce spectacle. Je l’avais vu il y a 4 ans à Londres, des amis m’avaient pris des places. Je me disais : c’est une drôle d’idée d’aller voir un spectacle de Walt Disney. Je pensais voir une adaptation du dessin animé. Or l’intelligence de Disney dans l’histoire, c’est justement de n’avoir pas cherché à imposer l’esthétique du dessin animé et de s’être adressé à un metteur en scène, Julie Taymor, qui est quelqu’un d’extrêmement avant-gardiste aux États-unis. On sait qu’elle a fait du cinéma,… elle est extrêmement inventive esthétiquement. Ce que j’ai vu il y a 4 ans, ce que j’ai revu l’autre jour – c’est la même chose – c’est éblouissant pour l’œil. (…) C’est l’utilisation de l’homme et de la marionnette, le mélange des deux que je trouve particulièrement réussi.(…) ça c’est vraiment un spectacle admirable, magnifique. J’ai rarement vu une aussi belle utilisation de la marionnette. Quand on voit l’attaque des gnous, les gnous qui déferlent : on a la trouille ! » Jacques Nerson.

« Techniquement, c’est remarquable. » Gilles Costaz.

Il semble donc que le but recherché soit atteint… Ils ont été favorablement impressionnés. Mais Le Rapport du Matin ne peut s’empêcher de publier l’extrait complet de la discussion animée par Jérôme Garcin. Soit plus de 5 minutes de questions, d’échanges, de réponses, de mauvais esprit et de bons mots :

Jérôme Garcin : On va dire un mot de ce fameux Roi Lion. Pourquoi ? Parce qu’il a accumulé les Molière – du meilleur spectacle musical, mais aussi pour les costumes, mais aussi pour les lumières – et qu’il est déjà à 350 000 spectateurs ! Donc ça casse la baraque… plutôt le théâtre Mogador qui ne désemplit par depuis l’automne dernier où la comédie musicale de Julie Taymor a été adaptée  pour la France par Stéphane Laporte. La musique est essentiellement d’Elton John, mais il n’y a pas que lui. Et c’est évidemment une production Walt Disney. Je crois que c’est la première fois que Walt Disney a droit à autant de Molière pour l’un de ses spectacles [LRDM : et pour cause, c’est le premier spectacle de Walt Disney Theatrical présenté en France ! Le musical Le Roi Lion a amassé plus de 70 récompenses à travers le monde !].
Alors, je vous ai envoyé, les uns et les autres, pensant bien évidemment à votre jeunesse, à votre sens du rythme. Bernard, tu y es allé avec les enfants je crois ?

Bernard Thomas : J’y suis allé en matinée enfantine mercredi dernier, c’était tout à fait réjouissant. Je me suis émerveillé – c’est peut-être un petit peu long pour un grand [LRDM : ?] – mais il faut dire que c’est vraiment extraordinaire. Quand les girafes arrivent sur scène, avec les zèbres, les éléphants et tout ça, on est vraiment émerveillé. On en demande encore. Les chansons sont très bien et les lumières, c’est surtout les couleurs des lumières qui sont prodigieuses… on marche complètement.

Jérôme Garcin : Vous avez compris l’histoire ?

Bernard Thomas : Je crois que j’ai à peu près tout compris. Y’avait un très méchant roi qui a pris le pouvoir, qui l’a usurpé, et y’a le petit qui se bat, puis qui devient grand dans la jungle. Alors j’ai pas reconnu tous les animaux… je pense que c’est un phacochère, le vilain sanglier, qui est très gentil en fait ! Y’a un oiseau aussi qui est tordant : il est sur l’épaule d’un monsieur, qui commente.

Charlotte Lipinska : C’est Zazu.

Jérôme Garcin : Donc tu as aimé ?

Bernard Thomas : Ah, bah beaucoup… Oui, oui, tout à fait.

Jérôme Garcin : Charlotte ?

Charlotte Lipinska : Oui, oui, on est effectivement… c’est très spectaculaire. Tout de suite 40 artistes en scène, 20 musiciens live, cette débauche de lumières et de costumes, c’est assez impressionnant. Je suis assez admirative de l’inventivité des costumes fait par Michael Curry : il y a du masque, de la marionnette, des espèces d’harnachements….

Jacques Nerson : Par Julie Taymor. Par Julie Taymor, elle-même, les costumes.

Charlotte Lipinska :
Et Michael Curry qui lui a fait tout le travail de marionnettes et d’harnachements…

Jacques Nerson : Non, non, non, elle a beaucoup travaillé sur les marionnettes elle-même. Son travail de mise en scène est inséparable de ce qu’elle a fait pour les costumes et les marionnettes.

Charlotte Lipinska : En tout cas, je trouve que cela fonctionne très très bien. Après sur les tableaux, je les trouve quand même très inégaux. Il y en a qui sont extrêmement inventifs comme par exemple la course poursuite par les hyènes [LRDM : les gnous et non les hyènes !] du petit Simba. Là, on a un effet de perspective. La scène dans le film était très forte… Et en même temps, il y a d’autres tableaux que j’ai trouvé d’une laideur terrible – et notamment les retrouvailles amoureuses des deux héros : ça se fait dans des lumières dégoulinantes avec des trapézistes, on dirait une mêlée de courgettes volantes ! C’est absolument immonde ! Et là, il y a vraiment le pire de Walt Disney – mais c’est que quelques minutes dans un spectacle qui dire 3 heures et qui effectivement est assez réjouissant ! On peut se demander à qui il s’adresse parce que pour les enfants, 3 heures, c’est trop long. Pour les grands, ce conte initiatique est un petit peu simplet, mais bon on passe quand même un moment assez féerique !

Jacques Nerson : Non, il n’y a pas de Walt Disney là-dedans, je suis désolé !

Jérôme Garcin : Jacques Nerson ?

Jacques Nerson : Non je ne suis pas d’accord : je suis émerveillé par ce spectacle. Je l’avais vu il y a 4 ans à Londres : des amis m’avaient pris des places. Je me disais : c’est une drôle d’idée d’aller voir un spectacle de Walt Disney. Je pensais voir une adaptation du dessin animé. Or l’intelligence de Disney dans l’histoire, c’est justement de n’avoir pas cherché à imposer l’esthétique du dessin animé et de s’être adressé à un metteur en scène, Julie Taymor, qui est quelqu’un d’extrêmement avant-gardiste aux États-Unis. On sait qu’elle a fait du cinéma,… elle est extrêmement inventive esthétiquement. Ce que j’ai vu il y a 4 ans, ce que j’ai revu l’autre jour – c’est la même chose – c’est éblouissant pour l’œil. Certains d’entre nous se sont extasiés sur le spectacle de la Comédie Française… [Sur ces deux productions], il y a un mélange d’acteurs et de marionnettes qui se fait très, très bien… [mais] ce que je vois au Roi Lion, c’est bien supérieur, largement supérieur. C’est l’utilisation de l’homme et de la marionnette, le mélange des deux que je trouve particulièrement réussi. Cela n’a rien à voir avec l’esthétique de Disney, ça c’est vraiment un spectacle admirable, magnifique. J’ai rarement vu une aussi belle utilisation de la marionnette. Quand on voit l’attaque des gnous, les gnous qui déferlent : on a la trouille !

Jérôme Garcin : Gilles ?

Gilles Costaz : Techniquement, c’est remarquable. De même qu’ils ont refait le théâtre Mogador. C’est vraiment très bien : on voit beaucoup mieux qu’avant. C’est très bien. Cela dit, c’est quand même le théâtre qu’il va falloir combattre. C’est l’axe Broadway–Marne-la-Vallée–Mogador : une espèce de pensée américaine assez bête !

Jacques Nerson : Pourquoi « combattre » ? C’est du théâtre pour enfants ! L’histoire de la pièce, c’est l’histoire d’Oreste ou de Hamlet : c’est un vieux schéma qui n’a rien d’américain.

Jérôme Garcin :
C’est Hamlet version Marne-la-Vallée.

Gille Costaz : C’est d’une pauvreté, cette histoire… en plus on ne la comprend pas très bien, j’ai eu un peu de mal !

Jacques Nerson : Ah ça, je veux bien le croire ! C’est trop complexe pour vous !

Jérôme Garcin : Non, non, non, Gilles, tu dormais…

Gilles Costaz : Le vieux lion est très mal fait [LRDM : ?]. Cela dit, il y a plein de qualités. Le fait d’avoir utilisé l’esthétisme des masques africains est quelque chose de très nouveau dans ce genre de spectacle et ça fait du bien. Reste qu’on va avoir des milliers de théâtres comme ça qui seront beaucoup plus écologistes [LRDM : ?] à mon avis, avec de purs produits industriels : c’est ce qui nous attend dans les années qui viennent et Jacques Nerson sera très content.

Jacques Nerson : C’est du protectionnisme culturel ! Le talent n’a pas de frontière, je crois vraiment. Et quand il y a un talent comme celui de Julie Taymor, je pense qu’on serait bien inspiré de s’incliner sans chercher à dire « c’est américain, c’est pas américain ». On s’en fout.

Gilles Costaz : Je préfère Eschyle ou Shakespeare à ce genre d’écriture, personnellement…

Extrait du masque et la plume par Jérôme Garcin, dimanche 22 juin 2008. Avec Charlotte Lipinska (Têtu), Jacques Nerson (Valeurs actuelles), Bernard Thomas (Canard enchaîné) et Gilles Costaz (Politis).